Dominique A vit tellement parmi nous que l’on a oublié à quoi ressemblait le monde sans lui.
Ce monde sans lui, il s’arrête comptablement en 1991.
Bernard Lenoir, le John Peel français, diffuse dans une Black Session sur France Inter un morceau qui s’appelle « Va-t’en ». C’est celui d’un jeune gars originaire de Provins qui a posé sa guitare à Nantes ou alentours. La voix est fluette, les mots sont désespérés, et l’ambiance est proche des heures les plus sombres de Joy Division. Émoi chez les auditeurs de Lenoir qui bombardent le standard. Le « Black » comprend le message et repasse le morceau.
Quelques jours plus tard, c’est Arnaud Viviant qui trempe sa plume dans le son de Dominique A pour en ressortir un éloge.
Les Inrocks lui emboite le pas.
Depuis plusieurs mois, cette trinité a entre les mains un 33 tour vinyle envoyé de la Résidence du Taillis à Orvault et qui fait beaucoup parler.
Le label Lithium a flairé le talent et est passé à l’action entre-temps. En février 1992 sort « La Fossette ». Cet opus va marquer une génération et donner son élan à toute une scène nantaise qui va occuper pendant plus de 30 ans les avant-postes du rock français, qu’il s’agisse de Katerine ou des Little Rabbits.
Un jour Jean-Daniel Beauvallet, mon chef aux Inrocks, m’a posé une question :
« Est-ce que quand tu écoutes Dominique A tu te dis que tu pourrais écrire un truc mieux, les textes surtout ? » La réponse est évidemment non. Il y a effectivement ces textes qui mettent les poils, qui créent des métagores, ces images mentales qui disent tout ce que le reste cache.
Dominique A, par le bas, parce que c’est tout sauf un flambeur, a changé le rock français à sa façon, sans jamais lui prendre la tête. Il a fait son chemin discrètement, a remporté des Victoires, écrit pour les plus grands, de Bashung à Daho. Aujourd’hui, la collection des vinyles de Dominique A occupe chez beaucoup une étagère, qui est comme un refuge, malgré le manque de sérénité de plusieurs de ses chansons. Mais ses chansons, on a appris à vivre avec elles et surtout, elles ont appris à vivre avec nous, nous accompagnant dans bien des trucs que le A avait vu avant nous.
Plus de trente ans et quatorze albums plus loin, l’empreinte du A n’a cessé de s’étendre, à sa façon, sans fard, sans fanfare. Ceux qui ont assisté à ses concerts acoustiques comme électriques à la Philharmonie en 2018 vous le diront : depuis « La Fossette », Dominique A avance toujours plus loin sans jamais quitter ce sillon magnifique qui l’anime et le construit.
Des concerts, il en aura aussi donné dans toute la France, créant le souvenir, avec toujours ce grand corps qui ondule à sa façon, avec ses éternelles scansions et ces belles épaules qui portent l’instrument.
A ceux qui ne connaissent pas Dominique, ces veinards, on dit : Jetez-vous sur « La Fossette».
Pierre Siankowski